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Au royaume d'Ubu, la Bourse est reine

12-03-2021

Si les phénomènes spéculatifs en Bourse ne sont pas nouveaux, ils ont pris récemment des proportions hallucinantes. Tesla vaut en Bourse 1,4 million de $ par voiture vendue contre 9.000€ pour GM qui en vend 15 fois plus, et Lucid (0 voiture vendue) frôle les 24 milliards de $... 
Les taux d'intérêt au plus bas orientent les liquidités vers la Bourse et attirent des nouveaux venus risquant la désillusion si les marchés se retournent. Quant aux professionnels, éternels moutonniers, ils cèdent à la "rotation des secteurs" ou investissent dans des coquilles vides, les SPAC.
Cette épargne ne profite malheureusement pas à nos PME/ETI dont les dirigeants se détournent de la Bourse.
Pourtant, il s'agit bien d'un outil pertinent pour orienter l'épargne vers les entreprises et assurer un marché secondaire (liquidité) efficient. Il faut réinventer cet outil. 
La Bourse est morte, vive la bourse ! Ou plutôt les nouvelles bourses.

Imaginons un instant que les fondateurs de la première bourse moderne, à Bruges au XIIIè siècle, reviennent parmi nous… Ils se croiraient sans doute chez les fous.

Créées pour permettre à des marchands de s'échanger des valeurs mobilières, d'abord des obligations, puis des actions, des monnaies, etc., les bourses sont devenues des temples de la spéculation où la valeur des titres est totalement décorrélée de la valeur économique des sociétés.

Le phénomène n'est pas nouveau, l'histoire le démontre, mais il prend ces derniers temps des proportions hallucinantes.

N°2 sur le podium du non-sens, Tesla, dont la valeur boursière équivaut à 1,4 M$ par voiture produite, contre 9.000 $ pour GM, qui en fabrique 15 fois plus !

Mais la palme revient à son confrère Lucid dont la valorisation boursière frôle 24 Mds $ (2 fois Renault) pour... 0 voiture produite.

Et pourtant ! la Bourse est théoriquement le trait d'union entre l'épargne et les entreprises

A qui la faute ? J'aime assez l'acronyme TINA, cher à Marc Fiorentino : There Is No Alternative. Autrement dit, en dehors de l'investissement en bourse, point de salut. Les taux d'intérêt historiquement bas rendent peu attractifs les livrets, fonds en euros et autres obligations. N'ayant d'autre destination pertinente - hormis l'immobilier, l'énorme réservoir de liquidités disponibles se déverse donc… sur la bourse. 

En France, terre traditionnellement réticente à l'investissement en actions, 400.000 nouveaux investisseurs individuels ont grossi les rangs en 2020. Est-ce vraiment une bonne nouvelle ? Ne sont-ils pas arrivés à la fin du "rallye" ? Ne vont-ils pas repartir aussi vite qu'ils sont venus, au premier coup de semonce, moins-value à la clé et de nouveau découragés pour 10 ans ? Pour ceux qui auront choisi les GAFAM, Tesla et autre bitcoin, Jean-Marc Vittori rappelle très justement quelques expériences passées montrant que si "les brillantes pépites achetées à prix d'or aux Etats-Unis se sont révélées être des citrouilles sans valeur, l'argent, lui, est resté de l'autre côté de l'Atlantique".

Mais ne jetons pas la pierre aux particuliers, a fortiori aux néophytes, parfois victimes d'emballements médiatiques et souvent mal conseillés. Les professionnels des marchés font généralement la loi, avec un instinct grégaire que connaissent peu de professions, la nouvelle mode étant la "rotation des secteurs" : Comme un seul homme, on décide que les "technos" ne sont plus dans le vent et l'on redécouvre les bonnes vieilles industrielles…  

Les SPAC, des coquilles vides en Bourse

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La créativité financière n'ayant aucune limite, on introduit maintenant en Bourse des "coquilles vides". Les SPAC (pour Special Purpose Acquisition Company) n'ont aucune activité et ne détiennent aucun actif. Elles lèvent pourtant des centaines de millions d'euros et leur capitalisation boursière atteint des sommets. Sur quel fondement ? Sur le seul espoir que la société qu'elles rachèteront un jour (c'est leur vocation) et avec laquelle elles fusionneront justifiera ce montant...

Mais ces dysfonctionnements seraient tolérables si, au moins, la Bourse permettait à nos entreprises de financer leur croissance. Pour environ 150.000 PME/ETI en France (1.600.000 en Europe), on ne compte que 650 sociétés cotées sur Euronext Paris (5.000 en Europe). L'épargne prête à s'investir en actions ne trouve donc en bourse qu'un débouché limité, créant mathématiquement une bulle spéculative, tandis que des milliers d'entreprises demeurent à la recherche de fonds propres.

Si respectables soient-elles, LVMH et L'OREAL ont-elles vraiment besoin de l'épargne des Français ? Et quand BPCE, organe central des Banques Populaires et Caisses d'Epargne, décide de retirer de la cote sa filiale Natixis, son Président déclare "Nous n'avons pas besoin de la Bourse pour assurer notre développement". CQFD.

Derniers défenseurs du bon sens, la plupart des dirigeants de PME et ETI ne s'y trompent pas. Ce n'est pas un hasard si le nombre de sociétés cotées a fondu de 25% en 20 ans en Europe. Coûts démesurés, réglementation de plus en plus contraignante, "roadshows" chronophages, auxquels s'ajoute un cours de bourse dépendant plus du marché que des performances de la société. Autant de bonnes raisons de ne pas franchir le pas, voire de se "délister" quand on y est déjà.

Et pourtant… La Bourse devrait être le plus bel outil de rapprochement entre l'épargne des uns et le besoin de financement des autres. Les fondateurs du Second Marché en 1983 l'avaient bien compris en l'ouvrant aux PME qui deviendront pour certaines d'incontestables leaders (Bénéteau, Cap Gemini, Boiron...). Malgré quelques échecs - il en faut, et grâce au meilleur VRP qu'elle ait jamais connu (Louis Thannberger), la Bourse aura su alors parfaitement remplir son office.

Alors que faire ? Si l'outil reste pertinent, l'usage qui en est fait doit se transformer. Les chefs d'entreprise, réticents à la Bourse, n'en sont pas moins enclins pour certains à ouvrir leur capital. Les plus avisés ont déjà compris la pertinence de l'actionnariat salarié, d'autres voient dans les investisseurs de proximité une réserve d'épargne prête à se mobiliser. Le circuit court de l'épargne n'est pas une gageure. Le Private Equity ne peut tout faire et connaît lui aussi sa bulle.

Quant aux épargnants néophytes, pris dans le maelstrom du court terme, pour ne pas dire de l'immédiateté, il faut les convaincre que l'investissement en actions est le plus rentable sur le long terme. Que le bon sens et la patience paient. Et qu'il faut investir dans ce que l'on comprend. Pourquoi pas à côté de chez soi ?

Dans tous les cas, il faut un outil pour rapprocher les uns des autres et assurer la liquidité du marché.

En d'autres mots, la Bourse est morte, vive la bourse ! … Ou plutôt les nouvelles bourses.